Séguéla a lancé un jour : " Si à 50 ans, on a pas de rolex, on a quand même raté sa vie". Si à soixante-dix ans on a pas de toit, on a ...rien.
Il se réfugia dans un coin isolé de la ville, loin de ces jeunes qui croquent encore à la délicieuse vie. Il passait souvent inaperçu, afin de ne pas leur faire peur. Car lui, il n'était pas jeune et n'avait pas de rolex non plus, il avait soixante-dix ans et une bouteille de whisky.
Il buvait l'échec que représentait son existence, il buvait toutes ces belles filles qu'il avait visité au lit, il buvait sa fortune trépassée et, le froid qui demeurait dans des trous en ses os. On pouvait croire que c'est bien ce sentiment de nostalgie, de grandeur morte qui le maintenait en vie, quoique cela pouvait susciter chez une autre personne une certaine haine d'elle même, et par conséquent un cadavre coloré de déception. Il racontait qu'il avait couché avec la moitié de la ville et qu'il avait bu des tonneaux du père Grandet. Son nez était rouge et il puait le vin, on s'abstenait de le croire et se contentait de hocher la tête. Il s'était exclu du monde, et s'était résigné à son aigre sort, cette tragédie grecque. Il pleurait ces jeunes gens qui empruntaient le même chemin que lui, cette belle rose qui fut cueillie par un gamin. Pleurant tout, la couleur de cette rose dont la vie fut entamée au premier toucher de la main du gamin, et comblé de haine en voyant tant d'injustice. C'était une extrême abomination d'arracher une sublime créature si rudement et avec une telle indifférence se dit-il . Il voulait briser cette putain de bouteille sur la crane du gamin, l'assommer, le tuer et arrêter ce supplice. Mais il s'avérait impuissant, il n'en était pas question de passer le reste de sa misérable vie en taule; on y faisait bien de mauvaises choses aux perdants et miséreux. Il savait où demeurait la source de toute cette haine, il fut un de ces jours cette belle rose éclatante de lumière et d'énergie. Quand il a bu de chez Grandet et baisé la moitié de la ville... Il savait également où allait aboutir la pauvre sublime rose, dans un trou! Elle n'aurait, elle aussi, ni rolex ni jeunesse, elle n'aurait rien.
Et vient le ciel le saluer, lui rappeler combien sa vie sentait désormais la merde et l'homme. Combien elle l'avait mis en garde de cette fin tragique, combien il fut têtu et le temps s'était très vite passé. D'une vitesse vertigineuse, il avait le vertige. Non pas à cause de la vitesse, il avait trop bu.
Puis vient l'oiseau, lui parla de l'homme, des femmes et de la terre. Lui dit qu'il ne pouvait gober son mensonge sur le fait qu'il avait baisé la moitié de la ville. Cependant, il y avait une façon de prouver cela. L'oiseau se transforme en une sorte de diable-ange-fillesexy et expliqua qu'au corps de chaque personne, l'âme demeurait au coin qui avait accomplis -disons- le plus d'exploits. Einstein par exemple on lui arracha l'âme du cerveau, Romeo de son coeur, Hendrix de ses doigts et ainsi de suite. Lui fit savoir qu'il était temps de mourir. Le vieil homme prit une gorgée de sa bouteille, l'embrassa et la jeta. Puis attendu la mort. Il faisait chaud, le soleil souriait, et pas loin d'ici un adolescent enculait une jeune file -du même âge, elle portait un voile. Ah ça!
Le diable-ange-fillesexy entama son manoeuvre et voilà, on voyait l'âme toute grise sortir du pénis du vieil homme. Ce fut sûre, il avait bu chez Grandet et baisé la moitié de la ville. Quoiqu'il n'avait pas de rolex, ni maison, ni toit, ni âme, ni corps. Il était désormais un je-ne-sais-quoi, en enfer.



