L'absurde est un degré de comique très élevé et aux caractéristiques spécifiques et qui est loin d'être apprécié par tous.
Bonsoir, je suis un poète et j'ai une chèvre.
Ma chèvre, elle bêle peu. Cela est sans aucun doute dû au fait que je sois poète, que je parle trop, en plusieurs formes, et qu'il ait un lien entre moi et ma chèvre, qui fait que nous puisions nos idées de la même source. A chaque fois que ma chèvre a envie de dire quelque propos -plutôt en bêler-, il s'avère que ces derniers figurent parmi mes vers, qu'ils étaient sortis à l'air et avaient frôlé le monde. A cet instant-ci, l'idée ne m'appartient plus - comme avait dit Tchekov - et elle n'appartient pas à ma chèvre non plus. C'est comme si un virus de SIDA avait touché l'air, à ce moment précis, il périt. Eh bien c'est ainsi pour nos idées, moi et ma chèvre, quand ça touche l'air, le lien nous réunissant à elle n'est plus, ça commence à appartenir à quelqu'un d'autre, mais aucunement à nous deux, ou à un d'entre nous. Et comme j'écris à l'encre - j'avais vendu ma machine à écrire pour acheter ma belle chèvre dont je ne peux pas pour l'instant définir la couleur -, il est évident que mes dires puissent avoir un contact direct avec l'air et voilà... Je ne peux redire ce qui est déjà dit, car cela ne m'appartient plus.
Nous préparons un grand projet, moi et ma chèvre. Un projet qui nous permettra de dépasser nos petits soucis un peu éparpillés sur notre vie courante, par exemple : j'ai du mal à localiser ma chèvre quand elle est Dieu seul sait où - chez un loup peut être, à se faire bouffer le matin, quand je suis entrain de rédiger mes poèmes, pour rentrer le soir en broutant. Il se peut que le loup lui même lui donne à manger, peut être qu'ils troquent entre eux, viande contre herbe. Je pourrais, une fois mes quelques problèmes résolus, acheter une machine, ou bien en faire construire, permettant de localiser sa chèvre, dont on ne peut définir la couleur, quand elle ne bêle pas.
-Il est assez concevable qu'on puisse en construire et ne m'interromps surtout pas, chèvre! Oh non! On fait désormais des machines à tout : à laver, à baiser, à écrire - j'en avais même une-, à faire la vaisselle, à chanter, à danser,à vivre, à prier, à pisser, à tout faire, quoi.
J'ai écrit plusieurs poèmes, cela est peut être évident puisque ma chèvre n'a remué ses cordes vocales de bête depuis des lustres. J'écris sans arrêt, du libre, des quatrains, des alexandrins, des pentasyllabes, en arabe, en berbère, en français. Des fois même, j'écris en des langues inconnues, que seul moi et ma chèvre pouvons lire, ou même pas. Nous n'avons en tout cas jamais essayé.
A présent, je suis assis sur un trottoir. Ma chèvre bêle, et je sais ainsi qu'elle est à coté. Je ne suis même pas capable d'affirmer à quelle profondeur je suis, dans la merde, mais je peux bien la sentir dense et pesante, sur mon coeur et sur mes épaules, et elle me le rappelle, la chèvre, car je ne peux plus écrire de vers. On a raconté, qu'il y avait un éditeur qui a refusé de m'acheter mes poèmes, comme quoi je suis aveugle, et que mon écriture était illisible. Mais ils sont bons, mes poèmes, et le fait que je sois aveugle ne veut aucunement dire que je suis incapable d'écrire, de faire tressaillir les âmes à haut goût au bout de chaque rime. Ma chèvre semble émue à écouter mes poèmes, elle n'a sûrement pas d'âme mais du goût, du haut goût, elle en possède pour sûr. Le temps que je commence à étaler mes arguments d'aveugle afin de me faire un petit paquet de vie avec tout l'espoir qui j'ai gardé lorsque ma vue avait volé aux éclats, ce tout petit souffle que nous nous gardons de ne faire éclater spectaculairement que quand on est sûr que notre tête est au dessus du niveau de l'eau, la chèvre me fait savoir que je suis sur le trottoir. Je fais péter mon souffle, mais bien avant la surface, je sombre et il commence à pleuvoir. Comme dans les films que je n'ai jamais pu regarder, quand les choses se cassent, il pleut pour que d'autres poussent, sauf pour les choses flexibles, comme ma chèvre. Elle fait sûrement à manger pour le loup sans pour autant perdre sa vie. Moi par contre, on a tiré sur moi pour inhaler et cracher, par la suite, la dernière bouffée de mon âme. Seule ma chèvre se souviendra de mes poèmes, car ils n'ont jamais été écrits. En vrai. Merde.